mercredi 29 novembre 2006

La Sangre derramada

¡QUE no quiero verla! 

Dile a la luna que venga,
que no quiero ver la sangre
de Ignacio sobre la arena.

¡Que no quiero verla!

La luna de par en par.
Caballo de nubes quietas,
y la plaza gris del sueño
con sauces en las barreras.

¡Que no quiero verla!
Que mi recuerdo se quema.
¡Avisad a los jazmines
con su blancura pequeña!

¡Que no quiero verla!

La vaca del viejo mundo
pasaba su triste lengua
sobre un hocico de sangres
derramadas en la arena,
y los toros de Guisando,
casi muerte y casi piedra,
mugieron como dos siglos
hartos de pisar la tierra.
No.
¡Que no quiero verla!

Por las gradas sube Ignacio
con toda su muerte a cuestas.
Buscaba el amanecer,
y el amanecer no era.
Busca su perfil seguro,
y el sueño lo desorienta.
Buscaba su hermoso cuerpo
y encontró su sangre abierta.
¡No me digáis que la vea!
No quiero sentir el chorro
cada vez con menos fuerza;
ese chorro que ilumina
los tendidos y se vuelca
sobre la pana y el cuero
de muchedumbre sedienta.
¡Quién me grita que me asome!
¡No me digáis que la vea!

No se cerraron sus ojos
cuando vio los cuernos cerca,
pero las madres terribles
levantaron la cabeza.
Y a través de las ganaderías,
hubo un aire de voces secretas
que gritaban a toros celestes,
mayorales de pálida niebla.
No hubo príncipe en Sevilla
que comparársele pueda,
ni espada como su espada,
ni corazón tan de veras.
Como un río de leones
su maravillosa fuerza,
y como un torso de mármol
su dibujada prudencia.
Aire de Roma andaluza
le doraba la cabeza
donde su risa era un nardo
de sal y de inteligencia.
¡Qué gran torero en la plaza!
¡Qué buen serrano en la sierra!
¡Qué blando con las espigas!
¡Qué duro con las espuelas!
¡Qué tierno con el rocío!
¡Qué deslumbrante en la feria!
¡ Qué tremendo con las últimas
banderillas de tiniebla!

Pero ya duerme sin fin.
Ya los musgos y la hierba
abren con dedos seguros
la flor de su calavera.
Y su sangre ya viene cantando:
cantando por marismas y praderas,
resbalando por cuernos ateridos,
vacilando sin alma por la niebla,
tropezando con miles de pezuñas
como una larga, oscura, triste lengua,
para formar un charco de agonía
junto al Guadalquivir de las estrellas.
¡Oh blanco muro de España!
¡Oh negro toro de pena!
¡Oh sangre dura de Ignacio!
¡Oh ruiseñor de sus venas!
No.
¡Que no quiero verla!
Que no hay cáliz que la contenga,
que no hay golondrinas que se la beban,
no hay escarcha de luz que la enfríe,
no hay canto ni diluvio de azucenas,
no hay cristal que la cubra de plata.
No,
¡¡Yo no quiero verla!!
Federico Garcia Lorca, Llantos por Ignacio Sanchez Mejias

La Cogida y la Muerte

A las cinco de la tarde.
Eran las cinco en punto de la tarde.
Un niño trajo la blanca sábana
a las cinco de la tarde.
Una espuerta de cal ya prevenida
a las cinco de la tarde.
Lo demás era muerte y sólo muerte
a las cinco de la tarde.

El viento se llevó los algodones
a las cinco de la tarde.
Y el óxido sembró cristal y níquel
a las cinco de la tarde.
Ya luchan la paloma y el leopardo
a las cinco de la tarde.
Y un muslo con un asta desolada
a las cinco de la tarde.
Comenzaron los sones del bordón
a las cinco de la tarde.
Las campanas de arsénico y el humo
a las cinco de la tarde.
En las esquinas grupos de silencio
a las cinco de la tarde.
¡Y el toro, solo corazón arriba!
a las cinco de la tarde.
Cuando el sudor de nieve fue llegando
a las cinco de la tarde,
cuando la plaza se cubrió de yodo
a las cinco de la tarde,
la muerte puso huevos en la herida
a las cinco de la tarde.
A las cinco de la tarde.
A las cinco en punto de la tarde.

Un ataúd con ruedas es la cama
a las cinco de la tarde.
Huesos y flautas suenan en su oído
a las cinco de la tarde.
El toro ya mugía por su frente
a las cinco de la tarde.
El cuarto se irisaba de agonía
a las cinco de la tarde.
A lo lejos ya viene la gangrena
a las cinco de la tarde.
Trompa de lirio por las verdes ingles
a las cinco de la tarde.
Las heridas quemaban como soles
a las cinco de la tarde,
y el gentío rompía las ventanas
a las cinco de la tarde.
A las cinco de la tarde.
¡Ay qué terribles cinco de la tarde!
¡Eran las cinco en todos los relojes!
¡Eran las cinco en sombra de la tarde!

Federico Garcia Lorca,
Llanto por Ignacio Sanchez Mejias

Epilogue

La vie aura passé comme un grand château triste que tous les vents traversent
Les courants d'air claquent les portes et pourtant aucune chambre n'est fermée
Il s'y assied des inconnus pauvres et las qui sait pourquoi certains armés
Les herbes ont poussé dans les fossés si bien qu'on n'en peut plus baisser la herse

Quand j'étais jeune on me racontait que bientôt viendrait la victoire des anges
Ah comme j'y ai cru comme j'y ai cru puis voilà que je suis devenu vieux
Le temps des jeunes gens leur est une mèche toujours retombant dans les yeux
Et ce qu'il en reste aux vieillards est trop lourd et trop court que pour eux le vent change

J'écrirai ces vers à bras grands ouverts qu'on sente mon coeur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu'on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu'il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre

Je vois tout ce que vous avez devant vous de malheur de sang de lassitude
Vous n'aurez rien appris de nos illusions rien de nos faux pas compris
Nous ne vous aurons à rien servi vous devrez à votre tour payer le prix
Je vois se plier votre épaule A votre front je vois le pli des habitudes

Bien sûr bien sûr vous me direz que c'est toujours comme cela mais justement
Songez à tous ceux qui mirent leurs doigts vivants leurs mains de chair dans l'engrenage
Pour que cela change et songez à ceux qui ne discutaient même pas leur cage
Est - ce qu'on peut avoir le droit au désespoir le droit de s'arrêter un moment

J'écrirai ces vers à bras grands ouverts qu'on sente mon coeur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu'on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu'il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre

Songez qu'on n'arrête jamais de se battre et qu'avoir vaincu n'est trois fois rien
Et que tout est remis en cause du moment que l'homme de l'homme est comptable
Nous avons vu faire de grandes choses mais il y en eut d'épouvantables
Car il n'est pas toujours facile de savoir où est le mal où est le bien

Et vienne un jour quand vous aurez sur vous le soleil insensé de la victoire
Rappelez vous que nous avons aussi connu cela que d'autres sont montés
Arracher le drapeau de servitude à l'Acropole et qu'on les a jetés
Eux et leur gloire encore haletants dans la fosse commune de l'histoire

J'écrirai ces vers à bras grands ouverts qu'on sente mon coeur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu'on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu'il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre

Je ne dis pas cela pour démoraliser Il faut regarder le néant
En face pour savoir en triompher Le chant n est pas moins beau quand il décline
Il faut savoir ailleurs l'entendre qui renaît comme l'écho dans les collines
Nous ne sommes pas seuls au monde à chanter et le drame est l'ensemble des chants

Le drame il faut savoir y tenir sa partie et même qu'une voix se taise
Sachez le toujours le choeur profond reprend la phrase interrompue
Du moment que jusqu'au bout de lui même le chanteur a fait ce qu'il a pu
Qu'importe si chemin faisant vous allez m'abandonner comme une hypothèse

J'écrirai ces vers à bras grands ouverts qu'on sente mon coeur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu'on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu'il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre

LOUIS ARAGON, Les Poëtes, Epilogue

mercredi 22 novembre 2006

La Rose et le Réséda

Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
À la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda

Louis Aragon,
La rose et le Réséda

mardi 21 novembre 2006

Rythmus Teutonicus

Rithmus Teutonicus de piae memoriae
Hluduico rege filio hluduici aeq;



1 Einan kuning uueiz ih. Heizsit her hluduig.
2 Ther gerno gode thionot. Ih uueiz her imos lonot.
3 Kind uuarth her faterlos. Thes uuarth imo sar buoz.
4 Holoda inan truhtin. Magaczogo uuarth her sin.
5 Gab er imo dugidi. Fronisc githigini.
6 Stual hier in urankon. So bruche her es lango.
7 Thaz gideilder thanne, Sar mit karlemanne.


8 Bruoder sinemo. Thia czala uuunniono.
9 So thaz uuarth al gendiot. Koron uuolda sin god.
10 Ob her arbeidi. So iung tholon mahti.
11 Lietz her heidine man. Obar seo lidan.
12 Thiot urancono. Manon sundiono.
13 Sume sar verlorane. Uuurdun sumerkorane.
14 Haranskara tholota. Ther et misselebeta.
15 Ther ther thanne thiob uuas. Inder thanana ginas.
16 Nam sina uaston. Sidh uuarth her guot man.
17 Sum unas luginari. Sum skachari.
18 Sum fol loses. Inder gibuotza sih thes.
19 Kuning uuas eruirrit. Thaz richi al girrit.
20 Uuas erbolgan krist. Leidhor thes ingald iz.
21 Thoh erbarmedes got. Uuuisser alla thia not.
22 Hiez hluduigan. Tharot sar ritan.
23 Hluduig kuning min. Hilph minan liutin.
24 Heigun sa northman. Harto biduuungan.
25 Thanna sprah hluduig. Herro so duon ih.
26 Dot ni rette mir iz. Al thaz thu gibiudist.
27 Tho nam her godes urlub. Huob her gundfanon uf.
28 Reit her thara in urankon. Ingagan northmannon.
29 Gode thancodum. The sin beidodun.
30 Quadhun al fromin. So lango beidon uuir thin.
31 Thanne sprah luto. Hluduig ther guoto.


32 Trostet hiu gisellion. Mine notstallon.
33 Hera santa mih god. Ioh mir selbo gibod.
34 Ob hiu rat thuhti. Thaz ih hier geuuhti.
35 Mih selbon ni sparoti. Uncih hiu gineriti.
36 Nu uuillih thaz mir uolgon. Alle godes holdon.
37 Giskerit ist thiu hier uuist. So lango so uuili krist.
38 Uuili her unsa hina uarth. Thero habet her giuualt.
39 So uuer so hier in ellian. Giduot godes uuillion.
40 Quimit he gisund uz. Ih gilonon imoz.
41 Bilibit her thar inne. Sinemo kunnie.
42 Tho nam her skild indi sper. Ellianlicho reit her
43 Uolder uuar errahchon. Sina uuidarsahchon.
44 Tho ni uuas iz buro lang. Fand her thia northman.
45 Gode lob sageda. Her sihit thes her gereda.
46 Ther kuning reit kuono. Sang lioth frano.
47 Ioh alle saman sungun. Kyrrie leison.
48 Sang uuas gisungan. Uuig uuas bigunnan.
49 Bluot skein in uuangon. Spilod unther urankon.
50 Thar uaht thegeno gelih. Nichein soso hluduig.
51 Snel indi kuoni. Thaz uuas imo gekunni.
52 Suman thuruh skluog her. Suman thuruh stah her.
53 Her skancta cehanton, Sinan fianton.
54 Bitteres lides. So uue hin hio thes libes.
55 Gilobot si thiu godes kraft. Hluduig uuarth sigihaft.


56 Iah allen heiligon thanc. Sin uuart the sigikamf.
57 [U]uolar abur hluduig. Kuning uu[ig-*]salig.
58 [S]o garo so ser hio uuas. So uuar ses thurft uuas.
59 Gihalde inan truhtin. Bi sinan ergrehtin.



traduction

1 Je connais un roi, nommé le seigneur Louis
2 Qui sert Dieu volontiers, et que Dieu récompense ; je le sais.
3 Enfant, il perdit son père ; mais fut bientôt dédommagé :
4 Dieu le prit en grâce et devint son tuteur ;
5 Il lui donna de bonnes qualités, des serviteurs fidèles
6 Et un trône ici en France : qu'il en jouisse longtemps !
7 Ces biens, il les partagea, peu après, avec Carloman
8 Son frère. C'était pour eux un objet de beaucoup de joie.
9 Cela fait, Dieu voulut l'éprouver,
10 Et voir s'il soutiendrait l'adversité, dans un âge aussi tendre :
11 Il permit que les païens traversassent la mer,
12 Pour rappeler aux Francs leurs péchés.
13 Les uns furent détruits, les autres épargnés ;
14 Celui qui avait vécu méchamment était soumis à toutes sortes d'outrages ;
15 Celui qui avait volé et qui se corrigeait de ce défaut
16 S'imposa des jeûnes et devint honnête homme ;
17 Le menteur, le ravisseur
18 Le fourbe firent tous pénitence.
19 Le roi était inquiet, l'empire tout troublé ;
20 La colère de Jésus-Christ, hélas, pesait sur le pays.
21 Mais Dieu eut enfin pitié ; voyant toutes ces calamités
22 Il ordonna au roi Louis de monter à cheval.
23 "Louis, mon roi (dit-il), secourez mon peuple,
24 Si durement opprimé par les Normands."
25 Louis répond : "Je ferai, Seigneur
26 Si la mort ne m'arrête, tout ce que vous me commanderez."
27 Prenant congé de Dieu, il hissa le gonfanon,
28 Et se mit en marche, à travers le pays, contre les Normands.
29 Dieu fut loué par ceux qui l'attendaient pour être secourus ;
30 Ils dirent : "Seigneur, nous vous attendons depuis longtemps."
31 Ce bon roi Louis leur dit alors :
32 "Consolez-vous, mes compagnons, mes braves défenseurs !
33 Je viens envoyé par Dieu, qui m'a envoyé ses ordres.
34 Je réclame vos conseils pour le combat,
35 Sans m'épargner moi-même jusqu'à ce que vous soyez délivrés.
36 Je veux que ceux qui sont restés fidèles à Dieu me suivent.
37 La vie nous est donnée, aussi longtemps que Christ le permet ;
38 S'il veut notre trépas, il en est bien le maître.
39 Quiconque viendra avec ardeur exécuter les ordres de Dieu
40 Sera récompensé par moi dans sa personne s'il survit,
41 Dans sa famille s'il succombe."
42 Alors il prit son bouclier et sa lance, poussa son cheval,
43 Et brûla d'ardeur de se venger sur ses ennemis.
44 En peu de temps il trouva les Normands
45 Et rendit grâce à Dieu, voyant ce qu'il cherchait.
46 Le roi s'avança vaillamment, entonna un cantique saint,
47 Et toute l'armée chantait avec lui Kyrie eleison !
48 Le chant finissant, le combat commençant,
49 On vit le sang monter au visage des Francs et couler parmi eux.
50 Chacun fit son devoir mais personne n'égala Louis
51 En adresse et en audace. Il tenait cela de sa naissance.
52 Il renversait les uns, il perçait les autres,
53 Et versait dans ce moment à ses ennemis
54 Une boisson très amère. Malheur à jamais à leur existence !
55 Dieu soit loué, Louis fut vainqueur.
56 Gloire à tous les saints la victoire fut à lui
57 A Toi, Louis, notre Roi, chanceux dans la victoire.
58 Il est toujours là où son aide est nécéssaire.
59 Conservez-le Seigneur dans sa majesté.


Rhytme Teutonique (premier poème en langue "haut allemand")
Bibliothèque Municipale de Valancienne

Le Rithmus Teutonicus célèbre la victoire de Louis III sur les Normands à Saucourt-en-Vimeu le 3 août 881. Il a été rédigé dans l'entourage du roi, peu après la bataille et avant la mort du roi Louis III, le 5 août 882 car, dans le poème, ce dernier est présenté comme encore vivant. C’est un chant de louange dont la musique est perdue mais dont les 59 vers allitérés nous sont parvenus "clandestinement" sur les derniers feuillets d’un recueil de sermons de Grégoire de Naziance venu de l’abbaye de Saint-Amand. Le texte aurait été destiné à l’édification des hôtes “germanophones ” de l'abbaye dont l'abbé Gozlin était alors proche de l'entourage royal.

Ce texte me rappelle un peu l'Ormuinn Langii feroëien; dans sa composition et dans ses thèmes

Le Cantilène de Sainte Eulalie



Transcription

Buona pulcella fut Eulalia,
Bel auret corps, bellezour anima.

Voldrent la veintre li Deo inimi,
Voldrent la faire diaule servir.

Elle no'nt eskoltet les mals conselliers,
Qu'elle Deo raneiet chi maent sus en ciel,

Ne por or ned argent ne paramenz,
Por manatce regiel ne preiement ;

Niule cose non la pouret omque pleier
la polle sempre non amast lo Deo menestier.

E por o fut presentede Maximiien,
Chi rex eret a cels dis soure pagiens.

Il li enortet, dont lei nonque chielt,
Qued elle fuiet lo nom christiien.

Ell' ent aduret lo suon element.
Melz sostendreiet les empedementz

Qu'elle perdesse sa virginitet.
Por o's furet morte a grand honestet.

Enz enl fou lo getterent com arde tost.
Elle colpes non auret, por o no's coist.

A czo no's voldret concreidre li rex pagiens,
Ad une 'spede li roveret tolir lo chief.

La domnizelle celle kose non contredist,
Volt lo seule lazsier, si ruovet Krist.

In figure de colomb volat a ciel.
Tuit oram que por nos degnet preier

Qued auuisset de nos Christus mercit
Post la mort et a lui nos laist venir

Par souue clementia.

Traduction

Eulalie était une jeune fille parfaite,
elle avait un beau corps, une âme plus belle encore.

Les ennemis de Dieu voulurent la vaincre,
ils voulurent la faire servir le diable.

Mais elle n'écouta pas les mauvais conseillers
qui l'engageaient à renier Dieu dont le séjour est dans les cieux.

Ni l'or, ni l'argent, ni les parures,
ni les menaces du roi, ni les prières,

rien ne put amener la jeune enfant
à cesser d'aimer le service de Dieu.

On la conduisit donc devant Maximien
qui régnait en ce temps là sur les païens.

Il l'exhorte, peine perdue,
à déserter la cause du Christ.

Aussi endure-t-elle le supplice du feu.
Elle supporterait plutôt les supplices

que de perdre la pureté de son âme.
C'est pourquoi elle subit une mort glorieuse.

On la jeta dans le feu pour la brûler promptement.
Elle n'avait commis aucun péché, c'est pourquoi elle ne se consuma pas.

Le roi païen ne voulut pas s'y résigner :
il ordonna de lui trancher la tête avec une épée.

La noble fille ne s'y refusa pas,
elle voulait quitter le monde et elle en supplie le Christ.

Sous la forme d'une colombe, elle s'envola au ciel.
Prions tous, afin qu'elle daigne intercéder pour nous,

et que le Christ nous prenne en pitié,
après la mort, et nous laisse venir à lui,

dans sa miséricorde.

Cantilène romane de Sainte Eulalie (premier poème en langue romane "française")
Bibliothèque Municipale de Valancienne

Devine

un grand champ de lin bleu parmi les raisins noirs
lorsqu vers moi le vent l'incline frémissant
un grand champ de lin bleu qui fait au ciel miroir
et c'est moi qui frémis jusqu'au fond de mon sang

DEVINE

un grand champ de lin bleu dans le jour revenu
longtemps y traîne encore une brume des songes
et j'ai peur d'y lever des oiseaux inconnus
dont au loin l'ombre ailée obscurément s'allonge

DEVINE

un grand champ de lin bleu de la couleur des larmes
ouvert sur un pays que seul l'amour connaît
ou tout à le parfum le pouvoir et le charme
comme si des baisers toujours s'y promenaient

DEVINE

un grand champ de lin bleu dont c'est l'étonnement
toujours à découvrir une eau pure et profonde
de son manteau couvrant miraculeusement
est ce un lac ou la mer les épaules du monde

DEVINE

un grand champ de lin bleu qui parle rit et pleure
je m'y plonge et m'y perds dis -moi devines-tu
quelle semaille y fit la joie et la douleur
et pourquoi de l'aimer vous enivre et vous tue

DEVINE


Louis Aragon,
Le fou d'Elsa, Devine

L'Aveu de Phèdre

Mon mal vient de plus loin. A peine au fils d'Egée
Sous les lois de l'hymen je m'étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait être affermi,
Athènes me montra mon superbe ennemi.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler.
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D'un sang qu'elle poursuit tourments inévitables.
Par des voeux assidus je crus les détourner :
Je lui bâtis un temple, et pris soin de l'orner ;
De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.
D'un incurable amour remèdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brûlait l'encens :
Quand ma bouche implorait le nom de la Déesse,
J'adorais Hippolyte ; et le voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je faisais fumer,
J'offrais tout à ce Dieu que je n'osais nommer.
Je l'évitais partout. O comble de misère !
Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.
Contre moi-même enfin j'osai me révolter :
J'excitai mon courage à le persécuter.
Pour bannir l'ennemi dont j'étais idolâtre,
J'affectai les chagrins d'une injuste marâtre ;
Je pressai son exil, et mes cris éternels
L'arrachèrent du sein et des bras paternels.
Je respirais, Oenone ; et depuis son absence,
Mes jours moins agités coulaient dans l'innocence.
Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,
De son fatal hymen je cultivais les fruits.
Vaines précautions ! Cruelle destinée !
Par mon époux lui-même à Trézène amenée,
J'ai revu l'ennemi que j'avais éloigné :
Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.


"L'Aveu de Phèdre",
Jean Racine,
Phèdre, Acte I, scène 4, vers 31 à 76

Toast Funebre

Ô de notre bonheur, toi, le fatal emblème !

Salut de la démence et libation blême,
Ne crois pas qu'au magique espoir du corridor
J'offre ma coupe vide où souffre un monstre d'or !
Ton apparition ne va pas me suffire :
Car je t'ai mis, moi-même, en un lieu de porphyre.
Le rite est pour les mains d'éteindre le flambeau
Contre le fer épais des portes du tombeau
Très simple de chanter l'absence du poëte,
Que ce beau monument l'enferme tout entier :
Si ce n'est que la gloire ardente du métier,
Jusqu'à l'heure commune et vile de la cendre,
Par le carreau qu'allume un soir fier d'y descendre,
Retourne vers les feux du pur soleil mortel !

Magnifique, total et solitaire, tel
Tremble de s'exhaler le faux orgueil des hommes.
Cette foule hagarde ! elle annonce : Nous sommes
La triste opacité de nos spectres futurs.
Mais le blason des deuils épars sur de vains murs,
J'ai méprisé l'horreur lucide d'une larme,
Quand, sourd même à mon vers sacré qui ne l'alarme,
Quelqu'un de ces passants, fier, aveugle et muet,
Hôte de son linceul vague, se transmuait
En le vierge héros de l'attente posthume.
Vaste gouffre apporté dans l'amas de la brume
Par l'irascible vent des mots qu'il n'a pas dits,
Le néant à cet Homme aboli de jadis :
"Souvenir d'horizons, qu'est-ce, ô toi, que la Terre ?"
Hurle ce songe; et, voix dont la clarté s'altère,
L'espace a pour jouet le cri : "Je ne sais pas !"

Le Maître, par un oeil profond, a, sur ses pas,
Apaisé de l'éden l'inquiète merveille
Dont le frisson final, dans sa voix seule, éveille
Pour la Rose et le Lys le mystère d'un nom.
Est-il de ce destin rien qui demeure, non ?
Ô vous tous! oubliez une croyance sombre.
Le splendide génie éternel n'a pas d'ombre.
Moi, de votre désir soucieux, je veux voir,
A qui s'évanouit, hier, dans le devoir,
Idéal que nous font les jardins de cet astre,
Survivre pour l'honneur du tranquille désastre
Une agitation solennelle par l'air
De paroles, pourpre ivre et grand calice clair,
Que, pluie et diamant, le regard diaphane
Resté là sur ces fleurs dont nulle ne se fane,
Isole parmi l'heure et le rayon du jour !

C'est de nos vrais bosquets déjà tout le séjour,
Où le poëte pur a pour geste humble et large
De l'interdire au rêve, ennemi de sa charge :
Afin que le matin de son repos altier,
Quand la mort ancienne est comme pour Gautier
De n'ouvrir pas les yeux sacrés et de se taire,
Surgisse, de l'allée ornement tributaire,
Le sépulcre solide où gît tout ce qui nuit,
Et l'avare silence et la massive nuit.

Stéphane Malarmé,
(1842-1898)

cf: JBX, Reflets d'acide, Zehirman